L’immense chantier, hors normes, de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris révèle soudainement une composante récurrente de l’histoire des édifices patrimoniaux. Souvent malmenés, ils sont très nombreux à avoir subi des destructions, lors des conflits mondiaux notamment.
Le bombardement de la cathédrale de Reims, celui de Rouen, ou plus récemment l’incendie du parlement de Bretagne, en sont des exemples bien connus. Si le moment du drame est en général marqué dans l’imaginaire collectif, l’histoire de leur reconstruction est parfois moins connue. L’intérêt du grand public pour le chantier de reconstruction de Notre-Dame questionne ces grandes restaurations antérieures, longtemps restées affaires de spécialistes.
La fonction d’architecte des bâtiments de France intègre régulièrement la charge d’être conservateur d’un ou plusieurs édifices appartenant à l’État, souvent d’une cathédrale. En l’espèce, l’architecte des bâtiments de France de la Nièvre est conservateur de la cathédrale Saint-Cyr et Sainte-Julitte de Nevers. L’exemple de la cathédrale de Nevers est manifeste. Cet édifice a subi d’importants dommages après un bombardement en 1944. La conférence du 1e juillet 2022 sur la restauration de Notre-Dame de Paris donnée à la cathédrale Saint-Cyr et Sainte-Julitte1 , a été l’occasion de faire un parallèle entre les deux chantiers de restauration.
À titre de conservateur de cet édifice, j’ai l’habitude de dire que je suis un peu le concierge de la cathédrale, au sens noble du terme, qui anticipe les dégradations, planifie l’entretien, règle les usages, confie les clés aux entreprises qui interviennent, ou encore à l’architecte en chef des monuments historiques Étienne Barthélémy, maître d’œuvre des projets de restauration.
Cette attention presque quotidienne permet d’offrir au visiteur contemporain l’image d’un édifice majestueux, mais ceux qui connaissent l’histoire de la cathédrale savent qu’elle a subi un traumatisme très important. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1944, trois bombes tombent sur l’édifice : une dans l’axe du cœur gothique et deux sur les chapelles au nord. En quelques fractions de seconde, elles ont laissé la cathédrale dans l’état que l’on peut constater sur les photos qui ont été prises au lendemain du bombardement, notamment par le photographe neversois Pierre Prémery.
Inutile de dire que c’est évidemment le cauchemar du conservateur que de retrouver l’édifice dont il a la charge dans un tel état. En préparant cette conférence, j’ai donc recherché un ouvrage qui ferait la synthèse, non pas du bombardement qui est effectivement très documenté, mais de sa reconstruction.
On aurait parlé de l’architecte des bâtiments de France Jacques Rattier qui, dès le lendemain du bombardement, place l’édifice sous étais. Les étais que l’on peut voir sur les photographies prises par l’agence des bâtiments de France de l’époque sont impressionnants et viennent stabiliser les parties maçonnées qui pouvaient encore l’être.
On aurait parlé également des architectes en chef des monuments historiques, Eugène Chauliat et Pierre Lablaude, les deux architectes qui ont essentiellement reconstruit la cathédrale pour un chantier qui a duré plus de vingt ans.
On aurait aussi pu parler des fouilles archéologiques qui ont été menées à la faveur de ce grand chantier, notamment de 1949 à 1951, sous la supervision des archéologues René Louis et Jacques Palais. Ils ont notamment cherché à savoir si la cathédrale de Nevers était orientée ou « occidentée », question que vous vous poserez peut-être aussi si vous visitez un jour cet édifice. Les archéologues ont trouvé beaucoup d’indices que l’on peut découvrir dans la crypte archéologique sous la nef, aménagée par les architectes en chef Bernard Colette et Paul Barnoud.
On aurait pu aussi parler des points de doctrine, parce qu’il n’y en eu bien sûr. On trouve une littérature relativement abondante concernant le programme de création de vitraux par les artistes Raoul Ubac, Claude Viallat, François Rouan, GottFried Honneger, Jean-Michel Alberola et Markus Lupertz, mais des questions se sont également posées sur l’édifice lui-même. Notamment, fallait-il retrouver un état Robelin ou un état Rupich-Robert pour les toitures des chapelles ? Dans un cas, les toitures sont en terrasse et dans l’autre en pavillon. La décision définitive a consisté à trouver un compromis entre ces deux partis.
Cet ouvrage de synthèse sur la reconstruction de la cathédrale de Nevers, je ne l’ai pas trouvé, mais le parallèle avec les questions soulevées par la restauration de la cathédrale Notre-Dame semble assez évident, et nous pouvons nous réjouir de voir aujourd’hui un public aussi nombreux s’intéresser à ces points de doctrine et de restauration, qui sont passionnants et qui nous parlent évidemment de notre passé, mais aussi de notre présent et de l’avenir qu’il construit pour ces œuvres.
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Lien vers la conférence du 1er juillet 2022 :
https://www.youtube.com/watch?v=olwUOFRrVPg ; conférence de Jonathan TRUILLET, conservateur en chef du patrimoine, directeur adjoint des opérations à l’Établissement public chargé de la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. ↩